Iranien résidant à
Paris, Mehran Tamadon n'est pas un opposant ordinaire au régime de
Téhéran. Ce documentariste invite ses adversaires au dialogue. Dans Bassidji (2009),
il allait seul au-devant de militants pro-régime pour tenter de les
comprendre. Cette fois, c'est aux mollahs, piliers érudits de la
République islamique, qu'il propose de partager une expérience. Elle
consiste à passer deux jours et une nuit sous le même toit, dans une
maison non loin de la capitale iranienne. Le salon sera l'espace commun
où les uns et les autres devront inventer des règles pour « vivre ensemble ».
Il
aura fallu trois ans pour convaincre quatre mollahs de jouer le jeu...
Une éternité, jalonnée d'interrogatoires et d'intimidations, qui en dit
long sur le courage du réalisateur, lui-même exposé tout le temps, au
même titre que ses interlocuteurs. Mais le résultat en vaut la peine :
en déplaçant l'affrontement sur le terrain de l'hospitalité, ce « loft
story » dialectique surprend et passionne. Contre toute attente, les
suppôts de l'obscurantisme sont des hommes sympathiques, souvent drôles.
On ne les avait guère imaginés le visage riant, smartphones et
ordinateurs en bandoulière — ils utilisent même un improbable logiciel
de référencement des fatwas. Lors des repas, des moments de détente sur
la terrasse, la chaleur des échanges évoquerait presque des vacances
entre amis. Et, quand le dialogue s'instaure, il a beau être vif, il est
toujours cordial... au point de faire froid dans le dos. Car, hors du
cadre pacifique défini par le réalisateur, on ne peut l'oublier, ses
contradicteurs ont tout pouvoir de lui nuire.
La laïcité (« C'est votre religion, et une vraie dictature ! » accuse un mollah), la place des femmes, le respect des convictions de
chacun, le pluralisme... Assis sur des tapis persans, l'« impie » et
les croyants font assaut de raisonnements plus ou moins brillants ou
fallacieux. Parfois aussi désarçonnés que le cinéaste, on s'agace du
manque de repartie de notre porte-voix : le film parvient ainsi à
susciter le désir chez le spectateur d'en découdre avec ces figures de
l'altérité. Mais s'il ne cloue pas toujours le bec à ceux qui veulent
l'empêcher de parler, Mehran Tamadon, l'athée exilé, fils de communistes
sous le chah, réussit, le temps d'un film, le plus difficile : faire
entendre sa différence en Iran.
Mathilde Blottière, Télérama "Ma caméra ne me sert pas à dénoncer mais à comprendre. Ce qui m’échappe, ce sont les arguments de ceux qui défendent un système que je considère injuste. Et c’est là que les choses deviennent troublantes, parce qu’on se rend compte qu’ils ont souvent les mêmes arguments que nous pour justifier leurs actes. C’est là qu’il y a selon moi un jeu gênant de miroir, où chacun voit l’oppresseur dans l’autre et que l’on finit par douter et ne plus être sûr de qui est l’oppresseur. (...) En m’intéressant à mon rapport à l’autre, je m’interroge sur moi-même, cela me met en mouvement."
Mehran Tamadon
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